L’école de commerce préférée de la droite est proche de l’Opus Dei

Enquête
Jean-Marie Leforestier
24 novembre 2016 MARSACTU

emdLa Ville de Marseille comme le territoire Marseille Provence organisent ce jeudi des événements à l’EMD, l’école de management située quartier Saint-Charles. Une habitude pour la droite locale qui reste discrète comme l’école elle-même sur les liens de cet établissement avec l’Opus Dei, branche controversée de l’église catholique.

La Ville puis le conseil de territoire Marseille Provence. Ce jeudi, les institutions publiques s’installent à l’EMD, l’une pour un colloque, l’autre pour une assemblée plénière, réfection en cours du palais du Pharo oblige. L’école de commerce, qui a déménagé il y a quelques années de Saint-Tronc vers Saint-Charles, dispose de locaux spacieux près de 7200 mètres carrés, une denrée rare à Marseille. « Le Mucem était déjà pris et on a dû en chercher un autre, explique-t-on au conseil de territoire. Et l’EMD a l’avantage d’être gratuit, ce qui n’est pas négligeable quand on cherche à faire des économies. »

L’EMD a le vent en poupe. L’école rêve d’accueillir jusqu’à 2000 étudiants, propose un incubateur d’entreprises et jouit d’une bonne réputation. Financée par des dons, elle prévoit même de s’agrandir dans les années qui viennent. Elle a pourtant une particularité que peu d’écrits officiels mentionnent. Gérée par une association, elle abrite en son sein une chapelle dont l’aumônier est nommé par l’Opus Dei. La messe y est dite chaque jour que Dieu fait. Construit pour 22 millions d’euros dont 9 de dons privés, le bâtiment a été dessiné par l’architecte catalan Carlos Trullols qui a, par ailleurs, conçu les locaux de l’Université internationale de Catalogne… fondée par l’Opus Dei.

Organisation catholique dotée du statut de prélature personnelle, l’Opus Dei est un pan controversé de l’Église, notamment pour sa proximité avec le régime franquiste en Espagne. Elle suggère une implication personnelle très forte de ses fidèles, qu’ils soient numéraires – des laïcs faisant vœu de célibat et qui ont « vocation au don total » – et les surnuméraires qui conservent une vie classique. Hommes et femmes y sont séparés et certains anciens de l’Œuvre ont dénoncé des pratiques d’endoctrinement actif. L’association de lutte contre les sectes Avref, le classe comme « mouvement religieux à caractère sectaire, ou manifestant les caractères d’un culte abusif ».

Où commence la laïcité ?

Voir s’y dérouler concomitamment deux événements publics ne pose-t-il pas question en terme de laïcité ? Le président du conseil de territoire Guy Teissier n’a pas souhaité nous répondre sur ce point. Pourtant, c’est un bon connaisseur de cette école, implantée auparavant dans le 9e arrondissement dont il a été maire, qui a déménagé dans le périmètre d’Euroméditerranée alors qu’il en était président.

Catherine Giner, organisatrice du colloque de demain, refuse quant à elle d’aller sur le terrain que nous lui présentons : « Je ne rentre pas dans ce genre de considération. Il n’y a pas de trucs tordus derrière le choix du lieu, je vous assure. Allez voir les locaux et vous verrez pourquoi on a choisi d’aller là », explique-t-elle avec force. L’élue municipale a pourtant plusieurs casquettes qui lui permettraient de connaître le sujet. Adjointe à l’enseignement supérieur jusqu’en 2014, elle a hérité du portefeuille de la famille après les municipales en récompense de son militantisme actif au sein de la Manif pour tous.

La présentation de son colloque « Familles contemporaines, le défi de l’éthique » de demain marque son parcours : « Il n’est pas anodin de dissocier procréation et sexualité. Aujourd’hui la filiation, fondement de notre société, est remise en question ». Le thème ne devrait pas déplaire aux hôtes d’un soir – à qui il arrive pour raisons éthiques de recaler certains invités – même si le plateau proposé, large, devrait permettre un vrai débat sur ces questions. « Il est important de permettre à chacun de se faire un avis sur ces sujets importants », estime-t-elle.

L’école reste discrète

Les invités de cette conférence, les élus du conseil de territoire ou même les étudiants savent-ils pourtant où ils mettent les pieds ? Rien n’est moins sûr. A la communauté urbaine, on avoue même que bien des organisateurs de la réunion ignorent le positionnement de l’établissement. Celui-ci n’est pourtant pas neutre mais l’école n’en fait guère état. La mention a été retirée de sa plaquette de présentation à destination des futurs étudiants (voir la version 2014 ici et la version actuelle là). « Ils ne veulent surtout pas que ce soit mis en avant », explique un ancien salarié. L’établissement se contente de mettre en avant « l’éthique » et « les valeurs chrétiennes » qu’elle souhaite insuffler dans ses formations. « Le fait que l’Opus Dei anime l’aumônerie de cette école ou qu’il y ait des membres de l’Opus Dei dans la direction n’est pas un secret non plus », explique pourtant Monseigneur Antoine de Rochebrune, chef de l’Opus Dei en France, dans Opus Dei, confidences inédites, un livre d’entretien avec le journaliste Philippe Legrand paru en octobre. Or, rien sur le site de l’école ne mentionne cette proximité.

Interrogée, l’école se contente d’une réponse par écrit. « L’animation de l’aumônerie est une proposition facultative pour les étudiants de l’école, comme dans n’importe quelle aumônerie étudiante. En aucun cas, il n’y a interférence entre ces activités associatives et la direction de l’école qui elle n’est pas sous tutelle catholique », veut-elle faire savoir. « L’assemblée générale de l’EMD a décidé que ce serait une chapelle catholique alors même que dans l’association, il y a des juifs, des musulmans et des athées », expliquait benoîtement le directeur Xavier Palou dans une interview en 2013. L’ancien président du conseil d’administration, le grand patron Jacques de Chateauvieux, est pourtant membre de l’Opus Dei. Et on en trouve d’autres parmi les formateurs comme le philosophe et enseignant en anthropologie Xavier Palin qui revendique d’être un « numéraire », un de ses fidèles totalement dévoués.

À l’arrivée, les relations sont très bonnes entre l’école et la droite locale. « L’EMD a effectivement été inaugurée par Jean-Claude Gaudin, qui connaît depuis sa jeunesse les apostolats de l’Opus Dei à Marseille », rappelle dans l’ouvrage déjà cité Mgr de Rochebrune. Après avoir accueilli la présentation du programme économique de Jean-Claude Gaudin lors des municipales 2014, l’école s’apprête encore, selon nos informations, à accueillir en décembre une réunion publique du micro-parti de Guy Teissier, « Passionnément Marseillais ». Le président du conseil de territoire sera alors en terrain connu.